Garde à vue : mensonges et forfaiture
Notre combat contre les conditions de la garde à vue ne
date pas d’hier. Personnellement, voici déjà plusieurs années, j’avais défendu
un avocat placé en garde à vue lui-même alors qu’il visitait un client en
garde à vue. Séquestré arbitrairement pour avoir exercé son métier de manière
irréprochable, il attend toujours que la justice ait le courage de juger
les policiers coupables.
Depuis ma prise de fonctions, à maintes reprises, j’ai demandé que notre législation
s’aligne sur celle de nos voisins européens et se conforme à la jurisprudence
de la Cour de Strasbourg : l’Espagne revenue du franquisme et les pays de l’Est
libérés du stalinisme ont imposé la présence de l’avocat dès la première minute
de la garde à vue.
Au moment où nous en débattions à l'Assemblée nationale sous la présidence de
Monsieur André Vallini, député, ancien président de la commission d’enquête sur
l’affaire d’Outreau, une garde à vue indigne et dégradante, une de plus, se déroulait à Meaux.
Une avocate en fut la victime.
Elle avait fait l’objet d’une convocation par la police pour se rendre à une
audition, sans plus de précision. Elle n’avait pu obtenir le nom du policier,
signataire de la convocation. J’avais alors écrit au directeur régional de la
police judiciaire de Meaux pour lui rappeler qu’en tant qu’avocate notre consoeur était
astreinte au secret le plus absolu et que, si elle était convoquée en rapport
avec un dossier dont elle avait la charge, elle ne défèrerait pas à la convocation
; mais qu’en revanche, s’il s’agissait d’une question qui lui était personnelle,
elle accepterait d’être entendue comme tout citoyen. Copie de cette lettre fut
adressée par mes soins au procureur de la République de Meaux.
Je reçus alors deux lettres, l’une de Monsieur Jean-Jacques Venera, commandant
de police, m’écrivant : « Il est bien évident que Maître W… n’aurait jamais été convoquée
au service si cette convocation avait eu un rapport avec un dossier dont elle
a la charge. S’agissant d’une question personnelle, je suis sûr que comme tout
bon citoyen, Maître W… déférera à cette convocation. »
La lettre du procureur de la République Christian Girard m’indiquait : « L’audition
de Madame W…, avocat, envisagée par les enquêteurs de l’antenne du SRPJ de Meaux,
est effectuée dans le cadre d’une enquête préliminaire actuellement diligentée, à ma
demande, à l’encontre de votre consoeur pour des faits qui lui sont personnellement
imputables et qui ne relèvent pas de son secret professionnel. »
étant ainsi rassuré, je lui conseillai de se rendre au commissariat. Elle y fut
placée en garde à vue, forcée de se dévêtir entièrement pour une fouille intime,
photographiée comme un criminel, de face et de profil, et contrainte de tremper
ses mains dans de l’encre pour le relevé de ses empreintes. Elle dut attendre
près d’une heure pour qu’on lui donne du papier afin de se nettoyer les mains.
Elle fut enfermée dans un cachot misérable, sentant l’urine. On lui remit une
couverture si sale qu’elle la poussa du bout de son pied dans un coin. Entourée
de plusieurs policiers, on prétendit la menotter et l’asseoir sur un petit bout
de banc à côté d’une tâche de sang encore fraîche sur le mur.
C’est ainsi que la découvrit notre confrère qui l’assistait pour la première
demi-heure autorisée. Elle avait refusé de répondre et refusa tout le temps de
sa séquestration. Déférée à un juge d’instruction, sans avoir rien déclaré à la
police, elle fut mise en examen sous le prétexte qu’elle aurait violé son secret
professionnel, et ce à partir d’une écoute téléphonique relative à l’un de ses
clients. La convocation par la police était donc en rapport direct avec son métier.
La garde à vue non seulement indigne mais illégitime, était destinée à lui faire
violer son secret auprès de la police alors même qu'elle n'avait le statut ni
de mise en examen ni de témoin assisté, condition nécessaire pour être affranchie
de son secret aux fins de sa propre défense.
J’accuse Monsieur Jean-Jacques Venera, officier de police judiciaire, de m’avoir
menti. J’accuse Monsieur le procureur de la République Christian Girard de m’avoir
donné une information inexacte. J’accuse la police judiciaire de Meaux d’avoir
pratiqué à l’égard de cette personne, des traitements inhumains et dégradants,
sans justification et sans proportion avec ce qui pouvait être en cause.
Pour parfaire le tout, le syndicat Synergie-Officiers a commis un communiqué intitulé « Campagne
publicitaire des avocats ! » où l’on peut lire que les policiers sont « des femmes
et des hommes qui n’ont pas de leçons d’intégrité à recevoir de la part de commerciaux
(sic !) dont les compétences en matière pénale sont proportionnelles au montant
des honoraires perçus ! »
Le même communiqué, en caractères gras, comporte la formule suivante :
« Rappelons-le, les avocats ne sont pas les garants des libertés publiques, ils
ne sont que les représentants des intérêts particuliers de leurs clients ! »
Il se termine par la phrase suivante : « Tant pis pour les victimes… »
J’accuse le syndicat Synergie-Officiers de diffamation publique envers la profession
d’avocat.
J’en appelle à chacune et à chacun de mes confrères pour alerter l’opinion publique,
les parlementaires et les consciences éclairées afin que soit mis immédiatement
un terme à la dérive de notre justice et aux excès de certains corps de policiers.
Je renouvelle notre exigence démocratique, conforme aux arrêts de la
Cour européenne
des droits de l’Homme, de rendre effective la présence de l’avocat en garde à vue pour
s’assurer notamment, comme le dit l’arrêt du 13 octobre 2009, des conditions
dans lesquelles sont traitées les personnes humaines dans les lieux de rétention.
Je suis prêt à répondre devant n’importe quelle juridiction des propos que je
tiens, comme devront répondre de leurs actes et de leurs paroles ceux qui résistent à une
culture de la liberté et ignorent le respect dû à leurs concitoyens.
Christian Charrière-Bournazel
Bâtonnier de l'Ordre