Les classiques du Droit
La bibliothèque du barreau de Paris conserve un fonds historique caractéristique de la culture juridique de l’ancienne France : on y trouve des ouvrages de droit romain et de droit canonique, un bel ensemble de coutumiers, des recueils de législation et de jurisprudence et bien des œuvres de jurisconsultes. En voici quelques illustrations.
Le droit romain (ci-contre, à gauche), devait être représenté par celui-là même qui l’incarne : l’empereur Justinien (482-565) trône en tête du texte des Institutes, manuel de droit rédigé et promulgué à son initiative en 533, la même année que le Digeste. Le texte des Institutes, au centre, est entouré de la glose, autrement dit les notes et commentaires. Cette édition des premiers temps de l’imprimerie est encore proche par la forme des manuscrits, avec notamment un recours prononcé aux abréviations.
Face au droit romain, la France a engendré un droit spécifique, constitué de coutumes locales ou régionales. D’abord non écrites, elles ont ensuite fait l’objet d’une rédaction officielle au XVIe siècle, puis d’une réformation. La coutume de Paris, rédigée en 1510 et réformée en 1580, avait tout particulièrement valeur de référence. Elle a été maintes fois publiée avec des commentaires, comme ceux de l’avocat Julien Brodeau. L’édition présentée (ci-contre à droite) est l’œuvre des frères Guignard, libraires au Palais, avec une marque représentant le sacrifice d’Abel.
Le droit canonique, applicable à tous ceux qui reconnaissaient l’autorité de l’église catholique, figure lui aussi en bonne place dans la bibliothèque des juristes de la France de l’Ancien Régime. Le Corpus du droit canonique, compilation de textes de référence dont la valeur officielle a été consacrée par le pape Grégoire XIII en 1580, est présenté ici (à gauche) dans une édition réalisée par les frères Pierre et Jean Pithou, célèbres jurisconsultes français. L’éditeur parisien, Denys Thierry, a décoré la page de titre d’un panorama du centre de Paris : on reconnaît notamment l’ancien Louvre et l’île de la Cité. L’ensemble est surmonté de l’effigie de saint Denis, premier évêque de Paris, qui tient sa tête coupée en mémoire de son martyre. Le Corpus juris canonici a connu de multiples éditions jusqu’à la codification du droit canonique, survenue pour la première fois en 1917 et profondément remaniée en 1983.
Les traités de droit avaient pour complément naturel les recueils de jurisprudence, qui comprenaient notamment les décisions rendues par les cours souveraines. La première de ces juridictions supérieures était le Parlement de Paris. L’un de ses magistrats, Jean Bouguier, est l’auteur de cette sélection d’arrêts (à droite), publiée avec une table des matières pour faciliter sa consultation. L’imprimeur-libraire de l’ouvrage, Claude Cramoisy, le vendait dans une boutique située au cœur même du Palais de Justice : la Grand’Salle. Sous le titre figure l’enseigne de Cramoisy, le sacrifice d’Abel, avec la devise en latin : « sacrum pingue dabo nec macrum sacrificabo » (je sacrifierai le gras et non le maigre). Il s’agit d’une allusion au célèbre épisode de la Genèse : Yahvé donne la préférence à Abel, qui lui a sacrifié des bêtes de son troupeau, alors que Caïn a simplement offert des produits de sa récolte. Caïn, jaloux de la faveur divine accordée à son frère, tue alors Abel. Cette référence à la Bible voisine avec des préoccupations plus contemporaines : dans un avertissement au lecteur, Cramoisy dénonce des réimpressions (par d’autres libraires) d’une précédente édition de l’ouvrage sans l’autorisation de l’auteur ; il ne manque pas de faire observer que sa nouvelle édition, revue, corrigée et augmentée, est nettement préférable… les problèmes de propriété intellectuelle avaient déjà cours dans la France de Richelieu !
La procédure civile et criminelle occupe elle aussi une place de choix dans les bibliothèques de droit. Un magistrat flamand du XVIème siècle, Josse de Damhouder (1507-1581) est l’auteur de deux traités sur la « pratique civile » et la « pratique criminelle », maintes fois publiés en latin et en français. Ses ouvrages se caractérisent par une iconographie abondante et originale. Dans l’édition anversoise que nous présentons ici (à gauche) de la « Practique judiciaire es causes criminelles », chaque matière du droit pénal est illustrée, par exemple le droit d’Appellation : un condamné, avec une entrave aux pieds, fait appel devant ses juges. Damhouder nous précise que l’appel n’est recevable en matière criminelle qu’en l’absence d’aveux. Il ajoute qu’en France « l’on permet à tous patiens criminellement et capitalement convaincus et condamnés d’appeler après la première sentence : et le Roy a ordonné qu’on mène le patient et porte son procès au parlement pour estre examiné, veu et discuté et la sentence confirmée ou réformée, amplifiée ou diminuée, et puis on le renvoie avec l’arrest en parlement par devant le juge, pour iceluy exécuter ainsi qu’il est constitué par les ordonnances. Et quelquefois la cour l’absout, eslargit et ouvre les prisons. »
Nourri à de multiples sources, le droit de l’ancienne France a souvent souffert de son excessive complexité et de son manque d’homogénéité. Les ordonnances royales ont tenté sur certains points d’unifier le droit. Sous le règne de Louis XV, le chancelier d’Aguesseau a notamment fait rédiger et promulguer trois ordonnances sur les donations (1731), les testaments (1735) et les substitutions (1747). Ces textes ont été fréquemment publiés avec les commentaires de juristes, comme Jean-Baptiste Furgole (1690-1761), avocat au barreau de Toulouse, qui livre ici un véritable traité sur les donations. Notre édition date de l’année même de la mort de l’auteur, dont la notoriété est attestée par le portrait placé en tête de l’ouvrage.
La bibliothèque judiciaire
Les membres du barreau portent un intérêt naturel aux combats des prétoires : des collections de mémoires, de consultations, de plaidoiries et des comptes rendus de procès rappellent aux avocats d’aujourd’hui les causes plaidées par leurs prédécesseurs. En voici quatre exemples.
L’avocat Henry Cochin (1687-1747) a été célèbre en son temps. Ses mémoires et consultations ont été publiés peu après sa mort par un libraire du Palais. Le style de Cochin a naturellement vieilli, mais ses œuvres constituent un précieux matériau pour l’histoire du barreau et de la France du XVIIIe siècle.
La célèbre affaire du collier (en bas, à gauche) a suscité d’innombrables écrits : ce mémoire judiciaire défend la comtesse de La Motte. Elle avait convaincu le cardinal de Rohan que Marie-Antoinette lui saurait gré de servir d’intermédiaire dans l’acquisition d’un collier. Rohan se procura le collier et le confia à un prétendu envoyé de la reine, qui était en fait un complice de La Motte. L’escroquerie révélée provoqua un scandale considérable et un procès : en 1786, Rohan est acquitté et La Motte condamnée. Marie-Antoinette, mise en cause par une grande partie de l’opinion, s’en trouva discréditée.
Les 14 et 15 octobre 1793, le Tribunal criminel révolutionnaire, qui siège à l’emplacement de l’actuelle 1ere chambre du T.G.I. de Paris, juge Marie-Antoinette. Le bulletin du tribunal (en bas, au centre), en dépit de son caractère officiel, se révèle une source d’information non négligeable sur le déroulement de l’audience : la « veuve Capet » y apparaît très combative et réfute notamment avec émotion l’accusation d’inceste avancée par Fouquier et Hébert.
Le 9 septembre 1899, Me Edgar Demange plaide l’acquittement de Dreyfus devant le Conseil de guerre de Rennes. Les juges condamnent à nouveau l’accusé, contre l’évidence. Demange, effondré, pleure. L’artiste Paul Renouard est l’auteur de cette gravure (en bas, à droite), sobrement intitulée : « Après le verdict », publiée par ses soins dans un recueil d’estampes consacré à l’Affaire.
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