Quelques mois après l’incendie du Palais de justice, l’Ordre des avocats lance un appel aux dons auprès de ses confrères sous la forme d’une lettre du 28 novembre 1871, signée du Conservateur de la bibliothèque, l’avocat Paul-Henri Templier, membre du Conseil de l’Ordre (photographie, à droite). En voici quelques extraits :
« Au lendemain de l’incendie qui a si cruellement atteint notre Bibliothèque, le Conseil de l’Ordre a dû se préoccuper, avant tout, de reconquérir un nouveau local provisoire, destiné, comme l’ancien, à recevoir le dépôt de nos livres et à servir de salle de travail et de délibérations.
Ce premier résultat obtenu, il s’agit aujourd’hui de réparer, dans la mesure du possible, les pertes énormes que nous avons faites. En voici le bilan :
Sur un total de 26 344 volumes que nous possédions avant l’incendie, il ne nous en reste plus que 9 611. Nous en avons donc perdu 16 733.
Nous avions, en outre, de précieux manuscrits : les uns reliés et formant environ 600 volumes, dont à peine a-t-on pu sauver la moitié, - les autres renfermés dans de nombreux cartons et que le feu a complètement dévoré.
C’est vous dire que notre Bibliothèque est à peu près anéantie.
Le Barreau doit avoir à cœur de la reconstituer.
Déjà de premières libéralités ont préparé l’accomplissement de cette œuvre ; mais le désastre est si grand, que, pour en triompher, nos efforts réunis seront nécessaires. […]
Nous ne doutons pas, mon cher Confrère, que vous ne teniez à l’honneur de concourir au succès de l’œuvre que nous poursuivons, et nous vous prions d’agréer la nouvelle assurance de nos sentiments confraternels. »
Quelques jours plus tard, le 2 décembre 1871, le Bâtonnier Edmond Rousse dresse le triste bilan de l’incendie de la Commune :
« Messieurs, dans ce grand désastre, nous n’avons point été épargnés. Vous voyez ce qui reste de notre antique héritage. La salle du Conseil s’est effondrée dans les flammes. Les bustes de Paillet et de Marie, qui semblaient présider encore aux délibérations de vos anciens, ne sont plus que des débris informes ; 16000 volumes de notre bibliothèque sont brûlés, les deux tiers de nos richesses ! Nos livres d’études, les compagnons, les maîtres de nos jeunes années ! Si tout n’a pas péri, vous le devez au courage du gardien fidèle auquel ce dépôt précieux était depuis longtemps confié [Nicolas Boucher]. Et si une partie de nos pertes peut être un jour réparée, vous la devrez à la générosité de ces amis du barreau qui viennent à nous, de toutes parts, les mains pleines de largesses. Qu’ils reçoivent ici, tous ensemble, le témoignage denotre profonde reconnaissance.
La Sainte-Chapelle, restée seule debout et intacte dans un cercle de feu, a recueilli, comme un lieu d’asile, les épaves de notre ruine. C’estlà que, pendant l’incendie, nos livres étaient jetés pêle-mêle. […]
Maintenant, Messieurs, nous voici réunis dans nos ruines, cherchant nos livres détruits, nos souvenirs brisés, nos traditions chancelantes, nos amis dispersés ; nous cherchant nous-mêmes au fond de cet abîme de maux. »
Templier et Rousse sont entendus. Comme ils le reconnaissent eux-mêmes, les dons n’ont pas attendu leur requête pour affluer. Ils continueront d’enrichir la bibliothèque tout au long des années suivantes. Des étiquettes mentionnant l’identité de ces bienfaiteurs du barreau figurent encore aujourd’hui au revers de la couverture de milliers d’ouvrages, comme en témoignent les quelques exemples auxquels vous pouvez avoir accès en cliquant sur l’étiquette du fonds d’ouvrages provenant de la bibliothèque de Georges Marjolin (1817-1896). Ce magistrat et bibliophile a donné et légué des milliers de livres. Une salle de la bibliothèque porte aujourd’hui son nom. Son portrait, œuvre d’Ary Scheffer, qui est ici à l’honneur (en haut, à gauche) a été légué à l’Ordre par la fille de l’artiste, elle-même veuve du frère de Georges. Ce tableau décore aujourd’hui le bureau du bâtonnier. Parmi les trésors offerts par Marjolin figure une belle édition des célèbres « Caprices » de Goya, qui s’ouvre par l’autoportrait de l’artiste (reproduit ici). Grâce à la générosité de Marjolin et de ses semblables, la bibliothèque a retrouvé une richesse patrimoniale qui fait encore sa fierté aujourd’hui. |