Par M. Jean-Denis Bredin de l'Académie Française, avocat à la Cour
I - On ne saurait étudier ici l'histoire de la presse. Seulement observera-t-on qu'à l'origine elle n'est qu'un moyen d'impression qui permet la reproduction d'un texte (livre, almanach, gazette...), mais qu'au XIX e siècle les progrès technologiques et industriels et l'évolution des sociétés ont assuré la prééminence du «journal» devenu non seulement le grand moyen d'information, mais aussi un des maîtres de l'opinion. En revanche, au XX e siècle, et plus encore au début du XXI siècle, la presse perd sa place privilégiée dans la hiérarchie des moyens de communication. La radio et la télévision lui font concurrence, et bientôt la dépassent par la force et la diversité de leurs ressources. On parle aujourd'hui d'un « déclin» de la presse écrite.
Pas davantage ne traitera-t-on ici de l'histoire de l'avocat, de l'avocat d'hier à l'avocat d'aujourd'hui. Seulement rappelons-nous qu'au XIXe siècle l'avocat semblait encore fidèle au portrait de l'avocat traditionnel dont « l'acte suprême» était évidemment la plaidoirie, dont les vertus supérieures étaient l'indépendance, la dignité, le désintéressement, mais que, dans la seconde moitié du XXe siècle, l'avocat s'est transformé, au point que beaucoup disent ne plus le reconnaître. Le temps semble fort lointain, où, en 1955, le Bâtonnier Thorp faisait presque scandale évoquant « l'avocat d'affaires », assemblant deux mots qui semblaient ne pouvoir se rejoindre. Nous savons ce que fut l'évolution de l'avocat en moins d'un demi-siècle la « dignité » ne domine plus sa vie, et non plus « le désintéressement» qui faisait autrefois de l'honoraire « le tribut spontané de la reconnaissance du client ». Cet avocat travaille dans de très nombreuses « spécialités» dont la plupart était inconnues ou méconnues il y a trente ans, il exerce sa profession dans des cabinets qui regroupent souvent de nombreux avocats, des cabinets nationaux ou internationaux, sa morale est devenue celle de la compétence, du travail bien fait, de la juste rémunération. Il semble n'avoir plus rien de commun avec l'avocat du XIXe siècle. Avocat défenseur? Il l'est parfois. Mais on voit aussi se développer, éclairé par le modèle américain, l'avocat accusateur, infatigable protecteur de toutes les victimes. S'exercent sous le même nom, parfois sous la même robe (pour ceux qui s'en servent encore) des professions -on dirait plus volontiers aujourd'hui des métiers- très diverses.
II - Les relations de l'avocat « moderne» avec la presse, avec les médias sont évidemment très différentes selon les métiers qu'il exerce. De nombreux avocats n'ont jamais rencontré les médias, car les affaires dont ils s'occupent n'y ont pas accès. D'autres avocats ont eu, parfois, des relations avec les médias, dans certaines affaires dites « médiatiques ». D'autres enfin ne cessent de les fréquenter, soit que ce leur paraisse nécessaire à ceux dont ils défendent les intérêts, soit encore que cela leur paraisse nécessaire à eux-mêmes : les avocats ne sont pas les seuls à subir la « séduction» des médias, à aimer leur image.
Sans doute l'avocat est-il tenu au secret professionnel. La violation du secret professionnel est un délit et aussi un manquement à sa règle déontologique . Mais, nous exposent André Damien et Henri Ader, le secret de l'avocat, s'il est absolu dans son principe, ne l'est pas dans son étendue. La Cour de Cassation rappelait dans un arrêt, il est vrai fort ancien, du 24 mai 1862 (DP 1862.1.545) que l'avocat « n'a d'autre règle que sa conscience et doit s'abstenir des divulgations qu'elle lui interdit».
Mais nous savons que plusieurs lois récentes prétendant servir la « sécurité », et la « dénonciation» qui serait soeur jumelle de la sécurité, prétendent limiter le domaine du secret professionnel de l'avocat. Cette obligation au secret, et les extensions qu'elle subit actuellement, empêchent-elles l'avocat de se faire lire, entendre, regarder, par la presse, la radio, la télévision ? Il ne le semble pas. L'audience est normalement publique. Nous ne cessons de voir, à la télévision, des avocats qui commentent l'audience, ce qu'elle sera, ce qu'elle est, ce qu'elle fut, nous ne cessons de les entendre à la radio, de les lire dans la presse. Peu d'audiences nous sont montrées sans que paraissent des robes noires... On objectera que ceci ne concerne que les images de l'avocat traditionnel, de l'avocat qui a plaidé ou va plaider, et que beaucoup des images de l'avocat très moderne échappent à la presse. Sans doute mais la vieille relation de l'avocat avec les médias ne s'est pas réduite, tout au contraire. Nous nous souvenons du rôle essentiel tenu par la presse dans l'affaire Dreyfus et ce n'est qu'un exemple parmi beaucoup d'autres. Quand Zola, au lendemain de l'acquittement d'Esterhazy, publie dans L'Aurore de Vaughan et de Clémenceau, le 13 janvier 1898, son fameux « J'accuse », c'est que la vraie Justice, pense-t-il, n'a plus d'espoir que dans la presse : il sera poursuivi, il sera condamné, mais l'affaire Dreyfus ne pourra plus être enterrée. C'est devant l'opinion publique que désormais la vérité sera dite et proclamée. Dans bien d'autres affaires qui secouèrent l'histoire on a vu la presse servir la défense. On la verra aussi servir l'accusation.
Vient un autre problème : cet avocat lu, vu, entendu ne manquerait-il pas aux règles qui régissent la « publicité» personnelle? Mais nous savons que sur ce point l'évolution du statut de l'avocat a beaucoup fait. Le temps semble loin où toute forme de publicité était interdite à l'avocat: fût-ce sur son papier à lettres, ou sur la porte de l'immeuble où il exerçait sa digne profession. Aujourd'hui, le décret du 27novembre 1991 (art: 161) nous dit que « la publicité est permise à l'avocat dans la mesure où elle procure au public une nécessaire information. Les moyens auxquels il est recouru à cet effet sont mis en oeuvre avec discrétion, de façon à ne pas porter atteinte à la dignité de la profession et communiqués au Conseil de l'ordre». Voici la «dignité» toujours présente, mais le domaine de la publicité « permise» s'est beaucoup étendu.
Qu'est donc devenu cet avocat qui ne pouvait autrefois mentionner son titre sur une carte de visite, ni supporter qu'un journaliste prît sa photo dans le dessein de la publier, ni donner un interview, ni supporter la publication d'un article élogieux, ni rien faire qui pu sembler, de quelque manière que ce soit, « rechercher la clientèle» ? Aujourd'hui, la liberté est la règle et l'interdiction est devenue l'exception. Simplement l'avocat doit, en toutes circonstances, se rappeler utilement le règlement intérieur de l'Ordre des Avocats au Barreau de Paris, « faire preuve de délicatesse ». Mais cet avocat qui donne de « nécessaires interviews » aux journaux sur les affaires qu'il a plaidées, ou qu'il va plaider, cet avocat que l'on entend à la radio parler de « son» procès, cet avocat que l'on voit à la télévision, le plus souvent en robe, se remuant avant et après l'audience, s'occuperait-il de sa place sur ce que Lucien Karpik a appelé « le marché de la réputation» ? Veut-il se plaire à lui même, plaire à ceux qui le connaissent et peut-être travaillent avec lui? Veut-il déplaire à ceux qui lui déplaisent ? Mais tous ces soucis lui sont sans doute indifférents : il sert, en bon avocat, la cause qu'il doit défendre. Il ne manque pas à la délicatesse. Il est un avocat de son temps, un avocat efficace, et résolu. Et nous ne devons oublier ce que les médias ont souvent fait pour servir la Justice, si même il est vrai que parfois ils ont travaillé à l'injustice.
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