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Rapport de Gaston Monnerville sur la question à discuter le 30 janvier 1925

 

L’un des traits les plus frappants du caractère français, c’est la loyauté. La délation n’est pas française ; elle nous paraîtra toujours odieuse. Et, pour qui a la vertu de s’intéresser aux dispositions de notre code d’instruction criminelle, une contradiction semble exister entre certaines d’entre elles et la mentalité des justiciables auxquelles elles s’appliquent. A un peuple qui la réprouve sans conteste, elles imposent comme un devoir la dénonciation. Les articles 29 et 30 de ce code n’obligent-ils pas en effet tout citoyen, au courant d’un acte punissable, à dénoncer à la justice le nom de son auteur ?

Cependant, n’exagérons rien ; la contradiction n’est qu’apparente. Car, si le code d’instruction criminelle pousse à la dénonciation, le code pénal vient aussitôt en atténuer les effets. Dans le souci d’assurer l’ordre public, il a voulu éviter que, s’abritant derrière cette obligation, et sous couleur d’un devoir à remplir, ne se donnassent libre cours les passions mauvaises, inspiratrices trop coutumières - hélas ! - des actions humaines. Faire une dénonciation peut être un geste louable, lorsqu’il émane d’une personne désintéressée et qui obéit à ce seul mobile : révéler la Vérité. Il ne l’est plus lorsque le dénonciateur altère les faits pour provoquer la perte de celui qu’il dénonce. Dans ce cas, la dénonciation devient à coup sûr un délit, le délit de dénonciation calomnieuse.

Mais que décider lorsque, sans dénaturer les faits, le dénonciateur n’obéit cependant qu’à un motif mesquin et vil ? C’est la question qu’avec l’assentiment de Monsieur le Bâtonnier je viens soumettre à votre appréciation, sous la forme que voici :

« L’individu qui, avec la volonté manifeste de nuire à une personne, a dénoncé celle-ci à un officier de justice, pour des faits graves qu’elle croyait vrais, doit-il être condamné pour dénonciation calomnieuse, en application de l’article 373 du C.P. »

Il s’agit d’un individu qui a imputé à un autre des faits qu’il croyait vrais, mais que l’enquête a révélés faux. Il semble qu’il aurait dû aller d’abord aux renseignements, avant de faire sa dénonciation. Mais un sentiment mauvais le poussait ; la colère, l’esprit de vengeance, la haine peut-être l’ont incité à agir comme il l’a fait. Il a accusé sa victime uniquement parce qu’il voulait lui porter tort. S’est-il, de ce fait, rendu coupable d’une dénonciation calomnieuse ?

A vous de répondre. Mais avant de le faire, imposez-vous le plaisir sévère de vous assimiler l’article 373 du C.P. Imprégnés de son esprit, vous direz si la volonté de nuire du dénonciateur suffit à faire de lui un délinquant. Vous verrez s’il faut en induire l’intention délictueuse, élément indispensable à l’existence d’un délit.

Que si, au contraire, après mûre réflexion, vous estimez plus juridique de faire une distinction entre le mobile de l’acte et l’intention de son auteur, vous nous exposerez vos raisons. Soyez assurés que nous ne vous taxerons nullement de subtilité, si vous savez trouver la seule bonne : celle qui conduit à la Justice.

Avant toutes choses, s’il nous est permis de vous donner un conseil, sachez prendre parti. Et, une fois choisie la thèse qui vous agrée, défendez-la avec chaleur et fermeté. Mais méfiez-vous de l’emphase inutile ; et puisque vous voulez convaincre, rappelez-vous au contraire que la simplicité est la pierre de touche de la Vérité.

 

 
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