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De l'avocat au bâtonnier

DE L’AVOCAT AU BÂTONNIER(Extraits de la correspondance adressée par Gaston Monnerville au Bâtonnier de l’Ordre Bernard Lasserre)

10 décembre 1973

« Le 2 décembre 1973 a marqué l’anniversaire de ma cinquante-cinquième année d’inscription au Barreau. N’ayant plus l’intention d’exercer ma profession d’avocat, je viens vous prier, ainsi que le Conseil de l’Ordre, de m’inscrire à l’honorariat.
Mes hésitations ont été longues ; et vous avez senti, lors de notre rencontre, combien me serait pénible l’obligation d’écrire la présente lettre, exigée par le règlement de l’Ordre. Renoncer à exercer désormais une profession que j’avais délibérément choisie, dans l’enthousiasme de mes vingt ans, n’est pas une décision qu’on prend en toute sérénité.
Est-il nécessaire, Monsieur le Bâtonnier, de vous affirmer que je continuerai à avoir à honneur de rester digne d’un Ordre qui a toujours symbolisé à mes yeux la recherche d’une Justice humaine, et d’une Indépendance qui ont souvent inspiré ma vie professionnelle comme ma vie publique. »

23 mars 1974

« Je tiens à vous renouveler mes bien vifs remerciements pour le message si cordial qu’au nom de mes confrères du Barreau de Paris vous avez bien voulu m’adresser, à l’occasion de mon entrée au Conseil constitutionnel.
J’y ajoute ceux que je vous dois pour votre présence personnelle à la cérémonie de la remise de médaille organisée le 14 mars par M. le Président du Sénat au Palais du Luxembourg.
Vous connaissez, Monsieur le Bâtonnier, ainsi que tous nos confrères, mon profond attachement à notre Ordre et au symbole d’indépendance, de respect des Droits de l’individu et de son éminente dignité qu’il représente à mes yeux. Meilleur témoignage d’estime et de solidarité ne pouvait m’être donné que la présence de son Chef à ce moment d’une si émouvante consécration de mes efforts. J’ai tenu à vous en exprimer ma profonde gratitude. »

2 décembre 1974

« Il y a 56 ans aujourd’hui que j’ai prêté serment, comme Avocat, devant la Cour d’appel de Toulouse. C’est une occasion de méditation pour l’homme d’âge que je suis devenu. Vous ne trouverez peut-être pas importun que je livre quelques confidences à l’appréciation de « mon » Bâtonnier.
        
Certes, je ne suis plus qu’un avocat admis à l’honorariat de l’Ordre. Ne croyez pas, cependant, que je m’en sois détaché pour autant. Mon attachement profond à notre profession est connu de tous, et mes confrères ont bien voulu me dire, souvent, qu’ils ne le tenaient pas pour superficiel. C’est ce qui m’enhardit à confier au chef de l’Ordre un état d’âme que je ne suis certainement pas seul à connaître, au sein des avocats honoraires.

Ne pensez-vous pas que ceux-ci devraient être admis à prendre part aux élections de nomination du Bâtonnier et des membres du Conseil de l’Ordre ? Les avocats honoraires, quoique ne pouvant plus exercer la profession d’avocat, restent strictement tenus au respect des règlements, de la discipline et de la déontologie de l’Ordre. Ils le trouvent normal, puisqu’ils ont encore droit au port de la robe. Noblesse oblige, à leurs yeux. Ils relèvent donc d’un Conseil de l’Ordre qu’ils n’ont plus le droit de choisir. Est-ce logique ? Quel inconvénient y aurait-il à laisser cette satisfaction à de vieux confrères qui, du fait même qu’ils ont sollicité l’honorariat, montrent leur attachement à l’Ordre, de la manière la plus désintéressée. Pourquoi couper le mince cordon ombilical qui, par l’admission à l’honorariat, les relie encore, et avec quelle joie de leur part, à la profession qu’ils ont librement choisie dans leurs jeunes années ?

J’ai beau examiner les différents aspects de cette question ; j’avoue ne pas comprendre ni même apercevoir les inconvénients que créerait une modification du statut actuel.

Ajouterai-je, sans croire qu’un tel état d’esprit me soit strictement personnel, qu’il y a quelque tristesse à avoir l’impression d’être rejeté, en quelque sorte, de sa famille professionnelle, en n’étant pas admis à prendre part à sa vie, à son renouvellement, à sa promotion permanente ?

Veuillez excuser ces confidences d’un soir ; mais à qui les faire, Monsieur le Bâtonnier, sinon au chef de l’Ordre ? J’ai vidé mon coeur ; et en toute confiante amitié, je vous renouvelle, Monsieur le Bâtonnier, l’expression de mes sentiments déférents et dévoués. »

Le Bâtonnier, dans sa réponse, déclare comprendre le point de vue de Gaston Monnerville. Deux ans plus tard, la loi du 3 janvier 1977 accordera le droit de vote aux avocats honoraires.

 
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